08 décembre 2017
Fraude, optimisation, évasion fiscale : de quoi parle-t-on ?
En novembre dernier, le scandale des “paradise papers” a remis sur le devant de la scène politique internationale les questions d’évasion fiscale.
Les phénomènes de fraude, d’évasion et d’optimisation fiscales ne sont pas nouveaux. Néanmoins, ils reviennent de plus en plus fréquemment dans le débat public, dans un contexte marqué par une volonté de la part des Etats de réduire leurs dettes et leurs déficits.
Quelles sont les différences entre fraude, optimisation et évasion fiscale ? Quel est le manque à gagner pour les Etats ? Quels sont les dispositifs mis en place pour lutter contre ces comportements ? Décryptage.
Fraude, optimisation et évasion fiscale : quelles différences ?
- La fraude fiscale vise à contourner illégalement l’impôt par un comportement volontaire et délibéré. Elle expose le particulier ou l’entreprise à des poursuites judiciaires.
- L’optimisation fiscale est un mécanisme d'évitement de l’impôt respectant la légalité. Elle consiste à contourner la législation fiscale ou à en exploiter les failles (niches fiscales ou régimes dérogatoires). Si elle n’emprunte pas directement la voie de l’illégalité, elle peut néanmoins être considérée comme illégale dans certains cas précis, en ce qu’elle constitue parfois un abus de droit ou une injustice.
- L’évasion fiscale relève à la fois de l’optimisation et de la fraude. Elle rassemble l’ensemble des comportements des particuliers et des entreprises qui cherchent à réduire le montant des impôts normalement dus. Souvent, l’évasion se caractérise par le déplacement d’un patrimoine ou d’une activité vers un pays dont les conditions fiscales sont considérées comme avantageuses (paradis fiscal).
Du fait de son opacité, le montant de l’évasion fiscale est difficile à évaluer. Des rapports publics permettent néanmoins d’établir quelques ordres de grandeurs.
Selon un rapport de la Commission européenne publié en 2012, l’évasion fiscale dans l’Union européenne représente 1 000 milliards d’euros par an, soit 19,2 % du PIB de l’UE.
En France, d’après un rapport du syndicat Solidaire-finances publiques, l’évasion fiscale représente 60 à 80 milliards d’euros par an. Cela équivaut au budget de l’Education nationale.
La lutte contre la fraude et l’évasion fiscale
Enjeu majeur de souveraineté et de redressement des comptes publics, condition essentielle du respect du principe d’égalité devant l’impôt, la lutte contre la fraude fiscale poursuit des finalités dissuasives, répressives et budgétaires. Il s’agit non seulement d’un outil de maîtrise des dépenses, mais elle répond surtout à un principe d’équité entre les citoyens et les entreprises.
En France, les deux lois de finances rectificatives de 2012, puis la loi contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière de 2013, ont renforcé la lutte contre la fraude fiscale : cela a permis de recouvrer près de 12 milliards d’euros en 2015, contre 10,1 milliards d’euros en 2013.
Néanmoins, en raison du caractère mondialisé de l’évasion fiscale, la coopération internationale est une condition de l’efficacité de la lutte contre les comportements déviants.
Des mesures adoptées à l’échelle mondiale et européenne
Dans le cadre du G20 et de l’OCDE, un plan de lutte contre l'érosion des bases fiscales et le transfert des bénéfices pour échapper à l'impôt (BEPS : Base Erosion and Profit Shifting), a été adopté en octobre 2015 par les 35 pays membre de l’OCDE. Ce plan a abouti à la signature, en juin 2017, d’une convention multilatérale visant à restreindre les possibilités d'évasion fiscale par les entreprises multinationales.
Suivant les recommandations de l’OCDE, la Commission européenne a présenté, en janvier 2016, le “train de mesures contre l’évasion fiscale” regroupant un ensemble de mesures législatives et non législatives visant à renforcer la lutte contre l’évasion fiscale des entreprises, au sein duquel s’inscrit le paquet lutte contre l’évasion fiscale. C’est dans ce cadre qu’est entrée en vigueur une directive imposant aux banques d’établir un compte rendu annuel de leurs activités dans chaque pays, afin d’éviter qu’elles ne délocalisent leurs profits dans des Etats à la fiscalité avantageuse. Une autre directive contraint les multinationales ayant un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros de rendre publiques leurs données comptables et fiscales.
Néanmoins, la question du dumping fiscal au sein même de l’Union européenne peine à être tranchée. La directive de « l’Assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS) », qui vise à harmoniser les modes de calcul de l'impôt sur les bénéfices, est toujours en discussion.
Enfin, à la suite du scandale des “paradise papers”, l’Union européenne a dévoilé mardi 5 décembre sa liste noire des paradis fiscaux. Ce sont 17 “juridictions” qui ont été identifiées par les Ministres des Finances des 28 pays de l’Union européenne, parmis lesquels Bahreïn, la Barbade, la Corée du Sud, les Emirats arabes unis, ou encore les îles Marshall, la Mongolie, et la Tunisie. Bien que les “paradise papers” aient révélé le rôle de certains pays membres - Malte, Pays-Bas, Irlande - dans les circuits de l’évasion fiscale, aucun pays de l’Union européenne ne figure sur cette liste noire.
L’évasion fiscale fait donc progressivement l’objet d’initiatives multilatérales tendant à une mobilisation coordonnée des Etats. Toutefois, les normes mises en place manquent encore de vigueur, et leur application demeure bien souvent défaillante ou lacunaire.
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